« I have a dream « : le rêve de l’entreprise est-il celui de ses salariés?

|

Nous avons publié en décembre 2 articles sur notre site internet qui traduisaient le malaise ressenti devant le décalage entre communication d’entreprise et réalité vécue par les salariés et leurs élus : l’un émanait des élus CFDT à l’occasion d’un CSEC où était exposée la démarche de simplification et simultanément sa traduction la plus fréquente dans la RCC 2022 : suppressions d’effectifs à but financier par délocalisations et externalisations.

Nous avons également publié la perception d’une salariée pour laquelle l’ambition de croissance de Michelin se traduit au quotidien par pression sur les coûts, surcharge de travail et dégradation des collectifs de travail.

A l’occasion d’une communication financière auprès d’investisseurs institutionnels, la direction de Michelin a précisé sa stratégie pour atteindre la cible fixée pour 2030 : le chiffre d’affaire hors activités pneu doit représenter 20 à 30% du chiffre d’affaires groupe, soit 8,6 milliards d’euros pour une cible moyenne à 25%. Il était en 2019 de 1,1 milliards d’Euros.

C’est l’occasion de s’interroger pour savoir si cette communication donne du sens à ce que les salariés (français en particulier) vivent actuellement et est de nature à dissiper le profond malaise ressenti par beaucoup.

Premier constat : le rythme de croissance attendu est très ambitieux à partir de 2023 et en décalage complet par rapport au rythme passé

Synthétisons : le chiffre d’affaire de Michelin a progressé de 1,7% en moyenne annuelle entre 2012 et 2019. La part des activités hors pneu est limitée à 1,1 milliards d’Euros en 2019. Une première cassure de rythme est attendue en sortie de crise COVID avec une cible 2023 qui nécessite une croissance annuelle de 6% pour l’activité pneu (et 5% pour l’activité hors pneu).

Entre 2024 et 2030, c’est un rythme de croissance annuelle de 5% qui est projeté, mais cette fois-ci, l’essentiel doit provenir de la croissance des activités hors pneu, qui doit atteindre le rythme annuel de 31%. Le chiffre d’affaires hors pneu, attendu à 1,273 milliards d’Euros en 2023 est projeté à 8,6 milliards d’Euros en 2030.

Comment l’entreprise entend-elle atteindre ce qui est un rythme de croissance de start-up ?

Deuxième constat : la croissance attendue dans les domaines de diversification déjà engagés représente moins de la moitié de la cible 2030

Vous connaissez ces domaines : impression additive métal (AddUP, co-entreprise avec Fives, hydrogène (Symbio, co-entreprise avec Faurecia), matériaux de haute technologie, Services autour du pneu,…

Ainsi, la croissance projetée dans les activités déjà engagées devrait conduire à générer un chiffre d’affaires de 4,2 milliards d’Euros en 2030. On est très loin de la cible moyenne : 8,6 milliards d’Euros.

Troisième constat : plus de 50% de la croissance attendue dans les activités hors pneu proviendra de croissance externe

Quelles seront les caractéristiques des candidats au rachat par Michelin ?

Michelin a réalisé 2 opérations de croissance majeures dans un passé récent : l’acquisition de Fenner et celle de Camso. Dans les 2 cas, il s’est agi de sociétés apportant une vraie complémentarité et une profitabilité en ligne avec la cible que l’entreprise a rappelée : une rentabilité pour l’actionnaire supérieure à 10,5% entre 2023 et 2030.

Or, racheter des sociétés très profitables suppose d’accepter un prix d’achat élevé : 1,5 milliards d’Euros pour chacune des 2 opérations Fenner et Camso, avec un chiffre d’affaires supplémentaire à la clé proche de 800 millions d’Euros pour ces 2 sociétés.

Sur ces bases, l’ambition de croissance externe de Michelin entre 2023 et 2030, c’est 5 sociétés type Fenner ou Camso pour atteindre 20% de chiffre d’affaire hors pneu et 9 sociétés pour atteindre 30%.

Cela représente un besoin de financement colossal de 7,5 milliards d’Euros à 13,5 milliards d’euros, auquel viendra s’ajouter celui des activités déjà engagées. En particulier, le projet hydrogène devrait être particulièrement consommateur de ressources financières pour atteindre la taille critique nécessaire à s’imposer sur le marché.

Et dans le même temps, l’entreprise a rappelé son engagement à verser 50% des bénéfices annuels en dividendes aux actionnaires.

Quatrième constat : comment l’entreprise va dégager les profits nécessaires pour financer ses ambitions colossales et convaincre les investisseurs de s’engager à ses côtés ?

Pas besoin d’être devin pour répondre : c’est l’activité pneumatiques qui va supporter l’essentiel de la pression pour dégager un maximum de profitabilité.

Dans un marché mondial en faible croissance, qui va subir de profondes mutations (changement de mode de propulsion, changement de mode de mobilité), et très concurrencé, la tentation va ainsi être forte de poursuivre voire d’amplifier la pression sur les coûts et la recherche du coût salarial toujours moins cher. Elle va être forte de continuer à abandonner les marchés à plus faible marge.

Simply n’est peut-être ainsi que le précurseur d’un mouvement de fond qui ira en s’amplifiant.

Et les salariés dans tout ça ?

C’est bien pour une entreprise d’avoir un rêve. Encore faut-il qu’il soit compatible avec ceux de ses salariés.

C’est l’occasion pour nous d’interroger l’entreprise : comment entend-elle assurer cette compatibilité ? Il serait destructeur pour l’écosystème de l’entreprise Michelin que l’équilibre People – Profit – Planet auquel la CFDT adhère ne soit qu’un langage de communication démenti par le vécu au quotidien des salariés : le profit d’abord. Les ambitions de profit doivent être compatibles avec les ambitions d’épanouissement personnel des salariés. Faire plus, plus vite, avec moins, cela rappellera des souvenirs aux plus anciens. Mais dans un marché du travail également en pleine mutation, cela peut ne pas suffire à attirer ou retenir les talents dont l’entreprise a besoin.

Et pour les salariés des domaines pneu, comment agir dans un contexte aussi atypique ?

La tentation de sauver sa peau peut être forte et très respectable : je fais avec tant que mes intérêts personnels sont préservés tout en me tenant prêt sur le marché du travail à changer d’entreprise.

Il y a une autre voie : s’investir dans l’action collective pour constituer un contrepouvoir aux actionnaires plus fort qu’aujourd’hui. C’est le choix que font les adhérents CFDT dans une perspective de trouver un meilleur équilibre entre profit (nécessaire pour assurer l’avenir de l’entreprise) et développement harmonieux des personnes.

Rejoignez-nous.

Denis Paccard, élu CSEC

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *